Comme un peu tout le monde, je sais que le Cambodge a connu des moments difficiles au cours du dernier siècle mais j'en connaissais peu les détails.
Je me souviens d'avoir entendu parler de Pol Pot et de ses Khmers rouges lorsque j'étais cégépien à la fin des années 70. À l'époque, la lutte révolutionnaire maoïste pouvait même avoir un petit côté sympathique vu de loin, confortablement "évaché" dans un fauteuil de L'Évasion au cegep de St-Hyacinthe, en train de réinventer le monde en fumant du pot.
J'ai visité plusieurs endroits depuis mon arrivée à Phnom Penh et il y a de magnifiques choses à voir.
Comme le palais royal, que je vois d'ailleurs du balcon de ma chambre d'hôtel. Ce palais a été construit au plus fort de la période coloniale française au 19e siècle et sert toujours de résidence royale.
Sur un immense terrain ceinturé d'une haute clôture jaune, tout en face du majestueux fleuve Mékong, se trouvent de nombreux édifices entourant ce palais. Tous d'un style architectural enchanteur propre au Cambodge et plus magnifiques les uns que les autres.
Entre autres, on y retrouve un magnifique temple Bouddhiste, la Pagode d'argent, qui doit son nom au fait que son plancher est composé de plaques d'argent pures.
À l'intérieur de cette pagode trône en son centre un immense Bouddha en or massif dans lequel sont incrustés des milliers de diamants, dont trois (dans la paume de chaque main et dans son front) qui sont d'une grosseur que je n'avais jamais vu. Je n'ose imaginer la valeur de ce trésor.
C'est vraiment très beau à voir tout ça.
Puis il y a l'horreur.
J'ai visité l'école primaire de Toul Sleng et j'en suis encore tout bouleversé.
Au cours des années 70 le Cambodge était au prise avec une guerre civile. D'un côté, le gouvernement militaire de Phnom Penh qui avait renversé la monarchie suite à un coup d'état. Ils avaient été aidés par les Américains qui eux voulaient se débarrasser des vietcongs communistes du redoutable Ho Chi Min se cachant au Cambodge. Durant ce qui fut perçu par le peuple cambodgien comme une "invasion" américaine, le roi du Cambodge a été contraint à l'exil en Chine.
De l'autre côté un certain Saloth Sar (qui s'appellera plus tard Pol Pot après avoir porté plusieurs autres noms), gosse de riche élevé à Paris, lèvera une armée de paysans du nord du Cambodge - les célèbres Khmers rouges - avec l'aide de la Chine communiste.
Tout ça aussi avec un certain appui du roi en exil. Appui qu'il regrettera par la suite puisqu'il sera fait prisonnier durant toute l'ère de Khmers rouges.
Les Khmers rouges finirent donc par avoir le dessus et entrèrent dans Phnom Penh le 17 avril 1975. Ils furent accueillis en délivreurs par le peuple mais leur joie fut de très courte durée. Ils étaient venu pour exterminer la vermine capitaliste et créer un nouveau monde basé sur des principes ultra-communistes maoïstes purs et durs. Dans cette idéologie où évidemment tout appartient à tout le monde et à personne en même temps, il n'y a de salut que dans le travail paysan. Tout ce qui était le moindrement intellectuel et non utile au travail de la terre pour le bien commun constituait une menace qu'il fallait éliminer, en commençant par l'éducation.
Comme ces "intellectuels" se trouvaient en ville, à Phnom Penh de surcroît, ville qui avait "collaboré" avec l'ennemi, tous les urbains devinrent donc suspects aux yeux des cruels et sanguinaires Khmers rouges. Ils commencèrent dès le premier jour par exécuter sans ménagement tous ceux qui avaient une certaine forme de pouvoir avant leur arrivée, femmes et enfants n'étant surtout pas épargnés.
Le principe sous-jacent étant qu'il valait mieux exécuter des innocents que de laisser un seul coupable en vie.
Par la suite, ils firent évacuer la ville par la pointe du fusil en l'espace de quelques heures sous le faux prétextes qu'elle s'apprêtait à être bombardée par les Américains. Tout le monde sans exception - ils vidèrent même les hôpitaux - durent prendre le chemin de la forêt et de la campagne afin de se consacrer uniquement à la culture du riz en communauté. La monnaie, la famille, la religion et la propriété privée furent abolies. Des centaines de milliers de personnes mourront en chemin ou carrément de faim.
Comme les écoles ne servaient plus à rien dans ce régime totalitaire, l'école primaire de Toul Sleng deviendrait plus utile en "centre de sécurité" qu'on nommera S-21.
Les salles de classes furent converties en chambres de torture afin de faire avouer aux traîtres qu'ils collaboraient avec la CIA et autres occidentaux.
D'autres salles furent transformées en cellules dans lesquels on entassait les suspects durant des mois en les "rééduquant" dans l'attente de leur exécution sommaire.
Après des mois de torture, ils étaient amenés à Choeung Ek en banlieue de Phnom Penh où ils étaient tout simplement abattus d'un coup de masse derrière la tête (pour économiser les munitions) ou enterrés vivants. Je devais aller visiter Choeung Ek (qu'on appelle maintenant The Killing Fields) mais j'ai manqué de courage après avoir visité la prison S-21 (devenue le Toul Sleng Genocide Museum). De voir ces chambres et ces instruments de torture donne la chair de poule.
De regarder les photos des prisonniers qui étaient fichés en entrant devient carrément insupportable quand on sait de quelle façon ils ont été assassinés quelques mois plus tard.Surtout les photos d'enfants. Sur les 17 000 prisonniers qui sont passé par S-21, seulement 7 en sont sorti vivants.
En un peu moins de quatre ans, Pol Pot et ses sbires ont exécuté le tiers de la population du Cambodge de façon cruelle et inhumaine. La plupart de ses fidèles alliés y ont aussi laissé leur peau, Pol Pot devenant de plus en plus paranoïaque au fil du temps. Bref, il s'agit de rien de moins que l'un des plus grands despote cruel de l'histoire de l'humanité. Il n'a jamais été jugé pour ses crimes et est mort dans son lit en 1998.
Étonnant qu'on n'en parle pas plus que ça, je veux dire comparé à d'autres horreurs comme les camps de concentration nazis ou d'autres tyrannies du même genre. Par contre, vous risquez peut-être d'en entendre parler un peu dans les prochains mois car s'ouvrira sous peu le procès de Kaing Guek Eav, mieux connu sous le nom de "Duch", directeur de l'infâme prison S-21.
Et dire que tout ça s'est déroulé il y a à peine 30 ans.